La Métamorphose des Droits des Travailleurs : Le Nouvel Équilibre Social en Construction

L’évolution des droits des travailleurs en France s’accélère sous l’effet de transformations économiques et sociétales profondes. La pandémie, la transition numérique et les enjeux environnementaux ont catalysé des réformes substantielles du droit du travail ces cinq dernières années. Le législateur français, sous l’influence du droit européen, a dû adapter le cadre juridique pour répondre aux nouvelles formes d’emploi tout en maintenant un socle protecteur. Cette dynamique législative redessine progressivement les contours de la relation employeur-employé et modifie structurellement le rapport de force au sein des entreprises, créant un nouveau paradigme social dont les effets se déploient aujourd’hui dans tous les secteurs d’activité.

La Reconnaissance Juridique des Nouvelles Formes de Travail

Le travail indépendant et les plateformes numériques ont connu un encadrement juridique progressif mais déterminant. La loi El Khomri de 2016 avait posé les premiers jalons, mais c’est véritablement la loi Orientation des Mobilités de 2019 qui a constitué une avancée majeure en instaurant une présomption de salariat pour certains travailleurs des plateformes. Ce dispositif a été complété par l’ordonnance du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant aux plateformes.

Le télétravail, propulsé au premier plan par la crise sanitaire, a vu son cadre juridique considérablement renforcé. L’Accord National Interprofessionnel (ANI) du 26 novembre 2020 a défini les conditions de mise en œuvre de ce mode de travail, notamment concernant le droit à la déconnexion et la prise en charge des frais professionnels. La loi Santé au travail du 2 août 2021 est venue consolider cette protection en intégrant spécifiquement les risques liés au télétravail dans le document unique d’évaluation des risques professionnels.

Les contrats courts ont fait l’objet d’une régulation plus stricte avec la réforme de l’assurance chômage. Le décret du 30 mars 2021, confirmé après diverses péripéties juridiques, a instauré un système de bonus-malus sur les cotisations patronales d’assurance chômage pour les entreprises de plus de 11 salariés dans sept secteurs d’activité particulièrement concernés par le recours aux contrats courts.

L’encadrement des plateformes numériques

La directive européenne 2019/1152 relative aux conditions de travail transparentes et prévisibles, transposée en droit français par l’ordonnance du 24 mars 2022, a renforcé la sécurité juridique des travailleurs des plateformes. Elle prévoit notamment :

  • L’obligation d’information préalable sur les conditions essentielles de la relation de travail
  • La limitation des clauses d’exclusivité et d’incompatibilité
  • La mise en place d’un recours contre la décision de désactivation du compte

La création de l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi (ARPE) en 2021 marque une institutionnalisation du dialogue social dans ce secteur. Cette autorité a pour mission d’organiser les élections professionnelles et de réguler les relations entre les plateformes et leurs travailleurs indépendants, ouvrant la voie à une forme inédite de négociation collective pour des travailleurs juridiquement non-salariés.

Le Renforcement de la Santé et Sécurité au Travail

La loi du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail constitue une réforme structurelle du système de santé au travail français. Elle transpose l’ANI du 10 décembre 2020 et modernise profondément l’approche préventive des risques professionnels. Le Document Unique d’Évaluation des Risques Professionnels (DUERP) est désormais conservé pendant au moins 40 ans et doit être déposé sur un portail numérique, garantissant ainsi une traçabilité des expositions professionnelles sur le long terme.

Les risques psychosociaux ont reçu une attention législative particulière suite à leur augmentation pendant la crise sanitaire. La loi santé au travail les intègre explicitement dans le champ de la prévention obligatoire. Le décret du 2 mars 2022 relatif aux services de prévention et de santé au travail renforce cette orientation en exigeant une cellule de prévention dédiée dans chaque service de santé au travail.

Le harcèlement sexuel a connu une redéfinition juridique majeure avec la loi du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire, qui élargit la définition du harcèlement sexuel dans le Code du travail. Cette modification aligne le droit du travail sur le code pénal en incluant les propos ou comportements à connotation sexiste dans la définition du harcèlement sexuel, facilitant ainsi la qualification juridique de ces agissements.

La pénibilité au travail a fait l’objet d’une réforme avec l’ordonnance du 22 septembre 2017 qui a transformé le compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) en compte professionnel de prévention (C2P). Quatre facteurs de risques ont été retirés du dispositif, mais la loi du 2 août 2021 a partiellement compensé cette réduction en instaurant une visite médicale de mi-carrière à 45 ans pour les salariés exposés à ces facteurs.

La prévention des risques émergents

Le droit à la déconnexion, introduit par la loi El Khomri, a connu un renforcement pratique avec la généralisation du télétravail. La jurisprudence récente, notamment l’arrêt de la Cour de cassation du 8 décembre 2021, confirme l’obligation pour l’employeur de mettre en place des dispositifs effectifs garantissant ce droit.

Les risques environnementaux font leur entrée dans le Code du travail avec la loi Climat et Résilience du 22 août 2021. Le Comité Social et Économique (CSE) voit ses prérogatives étendues aux conséquences environnementales des décisions de l’employeur, créant ainsi un droit d’alerte environnemental pour les représentants du personnel.

La Restructuration du Dialogue Social dans l’Entreprise

Les ordonnances Macron de 2017 ont profondément modifié l’architecture du dialogue social en France. La fusion des instances représentatives du personnel au sein du Comité Social et Économique (CSE) a été complétée par des ajustements législatifs ultérieurs. La loi du 2 août 2021 a ainsi renforcé le rôle du CSE en matière de santé et de sécurité au travail, tandis que l’ordonnance du 24 novembre 2021 a facilité la visioconférence pour les réunions du CSE, pérennisant certaines pratiques développées durant la pandémie.

La négociation collective a connu une décentralisation accrue avec la primauté donnée aux accords d’entreprise sur les accords de branche dans de nombreux domaines. Cette tendance s’est poursuivie avec la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel qui a facilité la conclusion d’accords dans les petites entreprises dépourvues de délégués syndicaux. Le décret du 28 décembre 2021 relatif à la procédure d’approbation des accords par référendum dans les très petites entreprises a simplifié cette procédure, favorisant le développement conventionnel dans les TPE.

Les accords de performance collective (APC), instaurés par les ordonnances de 2017, permettent de modifier le contrat de travail des salariés pour préserver l’emploi ou le développement de l’entreprise. Ces accords ont connu un essor significatif pendant la crise sanitaire. La Cour de cassation, dans un arrêt du 30 novembre 2022, a validé le licenciement économique d’un salarié ayant refusé l’application d’un tel accord, confirmant ainsi la force juridique de ce dispositif.

L’évolution des règles de représentativité

Les règles de représentativité syndicale ont connu des ajustements avec le décret du 29 décembre 2021 relatif à la mesure d’audience des organisations syndicales concernant les entreprises de moins de onze salariés. Ce texte modifie les modalités du scrutin permettant d’établir l’audience des organisations syndicales auprès des salariés des TPE, scrutin déterminant pour la composition paritaire de nombreuses instances.

La parité femmes-hommes dans les instances représentatives du personnel a été renforcée par la loi du 24 décembre 2021 visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle. Cette loi impose désormais une représentation équilibrée entre les femmes et les hommes parmi les candidats aux élections professionnelles, et ce dès le premier tour, sous peine d’annulation de l’élection du candidat du sexe surreprésenté.

La Lutte Contre les Discriminations et l’Égalité Professionnelle

L’index de l’égalité professionnelle, instauré par la loi Avenir professionnel de 2018, a vu son régime juridique se préciser et se renforcer. Le décret du 29 janvier 2020 a abaissé le seuil d’application de l’index aux entreprises d’au moins 50 salariés. La loi du 24 décembre 2021 a introduit l’obligation de publier les objectifs de progression et les mesures de correction lorsque l’index est inférieur à 85 points sur 100. Ces mesures doivent faire l’objet d’une communication au CSE et être publiées sur le site internet de l’entreprise.

La lutte contre les violences sexistes et sexuelles a connu des avancées significatives. La loi du 2 août 2021 a renforcé le rôle du référent harcèlement sexuel, tandis que la loi du 30 juillet 2020 a institué de nouvelles obligations pour les employeurs en matière de prévention des agissements sexistes. Le décret du 8 mars 2022 a précisé les modalités de mise en œuvre de ces dispositions, notamment l’obligation d’informer les salariés des actions contentieuses civiles et pénales ouvertes en matière de harcèlement sexuel.

La discrimination liée à l’âge a fait l’objet d’une attention particulière du législateur. La loi du 14 décembre 2020 relative au renforcement de l’inclusion dans l’emploi a créé un contrat de professionnalisation « seniors » pour les demandeurs d’emploi de longue durée âgés de 57 ans et plus. Cette mesure a été complétée par le plan pour les travailleurs âgés annoncé en novembre 2022, qui prévoit notamment un CDI senior exonéré de cotisations pour favoriser l’embauche des plus de 60 ans.

La protection des personnes vulnérables

Les travailleurs handicapés ont vu leur protection renforcée par la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique qui a harmonisé les obligations d’emploi entre secteur public et privé. Le décret du 13 octobre 2020 a précisé les modalités de cette réforme, notamment concernant la déclaration obligatoire d’emploi des travailleurs handicapés.

La protection de la grossesse a été consolidée par la loi du 7 décembre 2020 relative à la protection des victimes de violences conjugales. Cette loi étend la période de protection contre le licenciement pour les salariées de retour de congé maternité, portant cette période à dix semaines après la fin du congé. La jurisprudence récente de la Cour de cassation (arrêt du 30 septembre 2020) a par ailleurs renforcé l’obligation de reclassement des salariées enceintes déclarées inaptes.

La Transition Écologique et Numérique du Droit du Travail

La transition écologique s’invite progressivement dans le droit du travail français. La loi Climat et Résilience du 22 août 2021 a introduit plusieurs dispositions novatrices, notamment l’intégration des enjeux environnementaux dans les attributions du CSE et dans la base de données économiques et sociales, renommée base de données économiques, sociales et environnementales (BDESE). Cette loi a également créé un congé de reconversion pour les salariés des secteurs d’activité affectés par la transition écologique.

La transition numérique a accéléré la dématérialisation de nombreuses procédures en droit du travail. L’ordonnance du 24 juin 2020 a pérennisé la possibilité de tenir les réunions du CSE à distance. Le décret du 26 avril 2022 a généralisé la dématérialisation du bulletin de paie, inversant le principe antérieur : désormais, la remise du bulletin de paie sous forme électronique est la règle, sauf opposition du salarié.

Les compétences numériques des salariés font l’objet d’une attention croissante du législateur. La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a créé un dispositif de reconnaissance des compétences numériques, concrétisé par le décret du 30 août 2019 créant la certification PIX. Le plan de relance post-Covid a amplifié cette dynamique avec le programme France Num qui subventionne la formation numérique des salariés des TPE/PME.

Vers un droit du travail écologiquement responsable

L’empreinte carbone des déplacements professionnels est désormais prise en compte par le droit du travail. La loi Climat et Résilience oblige les entreprises à négocier sur la mobilité durable des salariés lors des négociations obligatoires. Le décret du 25 avril 2022 a précisé les modalités du forfait mobilités durables, dispositif permettant aux employeurs de prendre en charge les frais de déplacement des salariés utilisant des moyens de transport durables.

La formation professionnelle s’adapte aux enjeux de la transition écologique. Le décret du 13 septembre 2021 a ajouté les métiers de la transition écologique à la liste des métiers émergents ou en particulière évolution ouvrant droit à une prise en charge majorée des contrats d’apprentissage par France compétences. Cette évolution témoigne de l’intégration progressive des enjeux environnementaux dans tous les aspects du droit du travail.

Le Nouveau Visage des Protections Sociales des Travailleurs

La protection sociale complémentaire a connu des évolutions majeures avec l’ordonnance du 17 février 2021 relative à la protection sociale complémentaire dans la fonction publique. Ce texte prévoit une participation obligatoire des employeurs publics au financement de la complémentaire santé de leurs agents, alignant progressivement le secteur public sur le secteur privé où cette obligation existe depuis 2016.

L’activité partielle, dispositif marginal avant la crise sanitaire, a connu une refonte complète. Le décret du 28 juillet 2020 a créé l’activité partielle de longue durée (APLD), permettant une réduction d’activité compensée sur une période pouvant aller jusqu’à 24 mois. Ce dispositif a été prolongé jusqu’au 31 décembre 2023 par le décret du 26 avril 2022, témoignant de son inscription durable dans le paysage social français.

La portabilité des droits s’est renforcée avec la création du dispositif de transition professionnelle par la loi du 5 septembre 2018. Ce dispositif, précisé par le décret du 28 décembre 2018, permet aux salariés de suivre une formation certifiante tout en conservant leur rémunération. La jurisprudence récente de la Cour de cassation (arrêt du 5 novembre 2021) a par ailleurs confirmé le maintien des garanties de prévoyance pendant toute la durée du chômage indemnisé.

L’adaptation aux parcours professionnels fragmentés

Le compte personnel de formation (CPF) a connu plusieurs ajustements depuis sa monétisation en 2019. Le décret du 28 décembre 2022 a instauré une participation financière des usagers pour certaines formations, marquant un tournant dans la philosophie de ce dispositif initialement conçu comme entièrement gratuit pour les utilisateurs.

L’assurance chômage a fait l’objet d’une réforme d’ampleur avec le décret du 26 juillet 2019, modifié à plusieurs reprises pendant la crise sanitaire. Le décret du 26 octobre 2021 a finalement durci les conditions d’accès aux allocations chômage, portant la durée minimale d’affiliation à six mois et modifiant le mode de calcul du salaire journalier de référence. Cette réforme, contestée par les syndicats, a été validée par le Conseil d’État dans sa décision du 15 décembre 2021.